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Yvonne Guégan : Liberté chérie

«J’ai toujours voulu rester libre. C’est pourquoi j’ai toujours refusé de signer un contrat avec un marchand de tableaux. Le marchand, c’est un patron tyrannique qui vous assure la sécurité matérielle, certes, mais vous oblige à fournir un certain nombre de tableaux par mois. J’ai préféré avoir du mal, et j’en ai eu, mais rester libre ».

Cette mise au point d’Yvonne Guégan (Paris, 8 avril 1915-Caen, 14 mars 2005) en dit long sur la force de caractère d’une femme qui a préféré vivre modestement de son art mais s’est payé le luxe de rester libre malgré les nombreuses contraintes que cela représentait d’être une femme à une époque où ces dernières n’avaient pas les mêmes droits qu’aujourd’hui. De formation classique, l’artiste a enrichi son style et sa palette au gré de ses expériences et des rencontres qui ont jalonné sa vie. Réfractaire à toute étiquette, elle n’a jamais voulu dépendre d’aucun mouvement pictural défini. Dans sa vie de femme aussi, Yvonne a choisi la liberté, celle de tomber amoureuse parfois, mais de rester célibataire, toujours. Une vie modeste financièrement, durant laquelle elle s’est heurtée à l’incompréhension et l’injustice et a du composer avec la solitude, mais une vie nourrie et comblée par l’art, « geste d’amour« , « acte généreux ou de révolte« .

Autoportrait de l'artiste Yvonne Guégan.
Autoportrait, Yvonne Guégan, c.1950, huile sur toile, collection Y.G.

L’histoire commence

Yvonne Guégan naît à Paris le 8 avril 1915, son père, le jeune architecte Léon Gouts, vient de mourir au combat. C’est le remariage de sa mère avec le pharmacien Paul Guégan qui amène la famille à Caen en 1920. Très vite Yvonne se fait remarquer pour ses talents de dessinatrice par une de ses professeurs, Mlle Grenthe. Cette dernière lui fait rencontrer Lucien Simon, professeur à l’école des Beaux-arts de Paris qui l’incite à passer le concours d’entrée qu’elle réussit en 1935.

À Paris, la jeune Yvonne étudie le dessin, la peinture et l’art de la fresque ; bien que l’art contemporain ne soit pas enseigné à l’école des Beaux-arts, Yvonne est en contact avec les œuvres d’artistes de la modernité tels que Matisse, Derain et Vlaminck dont elle s’inspirera dans  ses premières œuvres. Ses années parisiennes sont également le lieu d’une prise de conscience politique lorsque le gouvernement de Léon Blum nomme, en juin 1936, trois femmes sous-secrétaires d’État  alors qu’elles ne sont ni électrices ni éligibles, comme toutes les femmes de leur temps. Cette décision aussi innovante que paradoxale fait s’engager l’artiste en faveur de l’émancipation et du droit de vote des femmes. Dès lors, Yvonne Guégan va se construire un parcours d’artiste moderne, généreuse et sans concession.

Le témoignage

Vue du quartier de Vaucelles et notamment de l'église, à Caen, détruit pendant la seconde guerre mondiale.
Vaucelles, Yvonne Guégan, c.1950, huile sur panneau isorel, collection Y.G.

Que ce soit de l’histoire mondiale, régionale ou bien de la condition humaine, Yvonne Guégan a souvent montré une volonté de témoigner.

De retour à Caen lorsque la seconde guerre mondiale éclate, l’artiste est frappée par la destruction de la ville. À la manière d’un reporter, elle parcourt les décombres de la ville, fusain et carnet de croquis à la main afin de témoigner de l’horreur de la guerre.  « La ville était devenue horizontale, faite de couleurs chaotiques, il n’y avait plus une seule verticale ». Faute de toiles, c’est sur des panneaux d’isorel récupérés qu’elle donne vie, de retour dans son atelier, à des scènes de misère qui communiquent au spectateur la violence de ses émotions.

Dans les années 1980, lorsque l’une de ses amies, tombée dans une grave dépression à la suite du décès de son mari, est internée à l’hôpital psychiatrique de Caen, l’artiste lui rend visite très régulièrement. Plusieurs scènes auxquelles elle assiste la trouble profondément, elle se décharge de cette douleur entrevue dans une série de dessins à la mine de plomb, sorte de galerie de portraits des tourments de l’âme humaine dont les psychiatres s’inspirent encore pour leur travail.

C’est également par l’humour que l’artiste témoigne. Fine observatrice de ses contemporains, elle s’amuse des petits et grands tracas qui ponctuent les journées et aime rire des travers de chacun, quelques traits de crayons rehaussés d’aquarelles lui suffisent à saisir des situations où l’absurde côtoie parfois le tragique.

Aquarelle et sac à dos

Stockholm, Yvonne Guégan, 1947, aquarelle, collection Yvonne Guégan.

Grâce aux liens noués pendant le Débarquement et la reconstruction, qu’ils soient amicaux ou amoureux, Yvonne va sillonner l’Europe pendant plusieurs décennies. Sa première destination est l’Angleterre où elle se rend afin de retrouver Fred Mara, capitaine britannique rencontré à la fin de la guerre, elle est ensuite invitée en Écosse par le colonel Usher puis en Suède et en Espagne où elle est invitée à exposer. Yvonne parcourt les Canaries à moto, en particulier Las Palmas où elle retourne de nombreuses fois, accompagnée de son ami sculpteur Placido Fleitas, jusqu’à la mort de celui-ci en 1971. Sac au dos et armée de plusieurs kilos de matériel de peinture Yvonne Guégan peint des aquarelles sur le motif, une centaine à chaque voyage. Ces voyages sont un moyen de faire connaître son travail hors de la France et de trouver d’autres inspirations et motifs afin de nourrir son œuvre.

Une artiste engagée localement

Dès la mise en place du dispositif 1% qui impose de consacrer 1% du coût d’un édifice public à une commande artistique, Yvonne Guégan concourt et participe activement à l’enrichissement du patrimoine local et régional que ce soit par des fresques, des peintures ou des œuvres  monumentales qu’elle réalise pour des édifices publics ou religieux. Elle réalise notamment, à la demande du maire de Ouistreham, un monument en hommage aux soldats du commando Kieffer ; une flamme d’inox et de bronze inaugurée en 1984 en présence de François Mitterrand.

L’artiste s’engage également pour favoriser le renouveau de la vie culturelle normande et participe au développement de galeries d’art, collectifs et associations d’artistes. Ayant à cœur de transmettre sa passion de l’art et de faire entrer Caen dans la modernité, elle postule pour un poste de professeur à l’école des Beaux-arts de la ville mais bien que les candidats manquent dans la période d’après-guerre on lui refuse le poste car elle est une femme. Yvonne donne alors des cours chez elle, fait salon et écrit des articles. Elle interpelle les pouvoirs publics locaux sur le manque d’endroits où exposer pour les jeunes artistes et milite pour la reconstruction du musée des Beaux-arts de Caen.


L’histoire continue

En 1992, le musée des Beaux-arts de Caen décide enfin de lui consacrer une rétrospective ; le musée étant en travaux, l’accrochage se fait à la mairie. Pourtant, à la même période, André Lemaître, autre peintre caennais, expose lui au musée, ré-ouvert exceptionnellement pour l’occasion : cette situation est vécue comme une injustice par Yvonne qui multiplie les courriers et dresse une liste des affronts qu’elle a subi. Le constat est amer, son art n’est pas reconnu par les autorités de sa propre ville. Au lendemain de son décès en 2015, ses proches, dont sa légataire et amie Jocelyne Mahler, crée l’association des Amis d’Yvonne Guégan afin de perpétuer son œuvre et de la faire reconnaître à sa juste valeur.

« Un Guégan c’est un Guégan ! », c’est ainsi que l’artiste définissait son style, refusant de se revendiquer d’un courant artistique en particulier. Yvonne Guégan est toujours restée libre, de ses choix artistiques comme de ses choix de femme faisant fi des critiques et des obstacles qui ont pu jalonner son parcours. Son œuvre et sa personnalité sont désormais reconnus au niveau national grâce au label Maisons des Illustres dont bénéficie sa maison-atelier située au 22 rue Géo Lefèvre à Caen, distinction jusqu’alors attribuée à une seule femme peintre, Rosa Bonheur.

Où voir des œuvres d’Yvonne Guégan :

  • Maison-atelier, 22 rue Géo Lefèvre Caen (Calvados)
  • Église Saint-Pierre, Fontaine-le-Pin (Calvados)
  • Monument au commando Kieffer, Ouistreham plage (Calvados)
  • Bibliothèque universitaire Pierre Sineux, Université de Caen (Calvados)

Sources et bibliographie :

  • http://www.yvonne-guégan.fr
  • FLAMENT Emmanuelle, Yvonne Guégan Tome 1 1915-1960, Caen, Les Amis d’Yvonne Guégan, 2009.
  • FLAMENT Emmanuelle, Yvonne Guégan Tome 2 1960-1980, Caen, Les Amis d’Yvonne Guégan, 2009.
  • FLAMENT Emmanuelle, Yvonne Guégan Tome 3 1980-2005, Caen, Les Amis d’Yvonne Guégan, 2010.
  • JOUBERT Caroline, Peintures dessins 1942-1992, Caen, Musée des Beaux-arts, 1992.
  • LE ROC’H MORGÉRE Louis, Yvonne Guégan : regards sur la guerre, catalogue de l’exposition réalisée au château de Bénouville du 25 juin au 25 septembre 2004, Caen, Direction des archives départementales du Calvados, 2004.
  • MAHLER Jocelyne, BONNAFÉ Julien, Fol’art : Yvonne Guégan, dessins : Roger Dautais, Land-Art, Paris, Syllepse, 2003.MAHLER Jocelyne, Guégan : commandes publiques : projets, réalisations, Caen, J.M, 2003

Je tiens à remercier Jocelyne Mahler pour sa disponibilité, son accueil au sein de la Maison-atelier Yvonne Guégan ainsi que pour l’autorisation de publier les images (non réutilisables) d’œuvres d’Yvonne Guégan illustrant cet article.

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2 réflexions sur « Yvonne Guégan : Liberté chérie »

  1. Bravo Magali, très bel article !

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